Critique de MURmur : un récit émouvant et révolutionnaire sur les droits des femmes
- Mathilde
- il y a 2 heures
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Si MURmur semble être, au premier abord, un énième roman féministe convenu, il n’en est rien. Au-delà d’une dénonciation des violences faites aux femmes et leur manque de libertés, Caroline Deyns réussit à plonger le lecteur au cœur de la vie des femmes grâce à une écriture inventive et puissante.

MURmur est à tout point de vue un livre bouleversant. Il bouleverse assurément l’écriture elle-même. Il se joue de la langue, des phrases, de leur agencement, et même des mots eux-mêmes. MURmur incarne véritablement son propos – l’avortement, les viols, et toutes les autres violences subies par les femmes. Il le figure, lui donne un corps en quelque sorte, l’exhibe, l’impose. MURmur bouleverse aussi le lecteur, qui ressort transformé de sa lecture, comme emporté par des émotions intenses et paradoxales – découragement, indignation, mais aussi espoir. Plus qu’un livre, Caroline Deyns lui propose une véritable expérience, l’obligeant à se glisser dans l’altérité, comme s’il était tout simplement projeté dans la vie d’une femme.
La littérature contemporaine aborde de plus en plus les thèmes de l’avortement et de la libération des femmes. Pourtant, aucun écrivain, ni aucune écrivaine, n’avait encore retranscrit ce combat avec autant de fougue, d’originalité et de justesse que Caroline Deyns. Cette dernière met en avant un phénomène d’exclusion et de répression des femmes, avec un style d’écriture dérangeant, ingénieux, atypique. Elle dénonce le double enfermement des femmes, de leurs corps dans des prisons, mais surtout de leurs voix dans leurs corps.
Dès les premières pages, le livre nous enferme, nous aussi, comme pour nous immerger au cœur de l’histoire et nous mettre face à face avec son propos. On n’est d’abord confronté qu’à une longue phrase, comprimée dans un minuscule carré de texte. On y rencontre une femme prisonnière, s’exprimant à la première personne comme à un journal intime, dans d’étroites colonnes de texte, en alternant vocabulaire cru et tournures plus imagées. Caroline Deyns nous offre une réelle percée dans la vie d’une femme prisonnière, qui livre un témoignage profond et marquant sur sa condition et son quotidien.
« Un corps reste un corps, et pire en prison où son encombrement devient monstrueux : ce que l’on montre du doigt, bête de foire. Pas de cache possible, ma vie sous plexiglass. »
Puis, Caroline Deyns se penche soudainement sur une tout autre histoire, sans réelle transition. Au témoignage très personnel de l’anonyme, succède le récit plus distant de la vie de GrandeEnfant, succession de scènes, s’étalant sur des pages pleines, dans lesquelles elle subit un viol, un avortement, un procès, et que l’on observe. Aux personnages clairement nommés, Caroline Deyns a préféré des personnages désignés par leur fonction. Malgré ce stratagème, on comprend rapidement que derrière GrandeEnfant, Mère et MaîtreAvocate, se cachent en réalité les protagonistes du procès de Bobigny. Cependant, l’autrice ne se contente pas de retracer l’histoire du procès en énonçant seulement les faits. Elle amplifie les émotions, devine les pensées, narrativise les événements. Elle humanise des figures impersonnelles, qui deviennent alors des figures universelles.
« RELAXER GRANDEENFANT ! Ecrit à grandes lettres peintes, presque agressives, il a perdu toute familiarité. Elle le fixe. Son nom sans être le sien. Celui d’une personne étrangère. […] D’une idée incompréhensible. »
Choisir de réunir deux histoires si différentes au sein d’un même ouvrage prend alors tout son sens. Qu’il s’agisse de l’anonyme de la première partie, ou des personnages sans prénom de la seconde, toutes sont des figures universelles qui représentent les femmes, et l’universalité de leur condition. En rassemblant deux parties apparemment hétérogènes, Caroline Deyns fait ressortir le caractère permanent de l’oppression des femmes, et le caractère temporaire des droits qui leur sont accordés. Que cela concerne le droit au consentement, à l’avortement, à la vie privée, ou encore celui de choisir quelle profession exercer, la société fait du sur-place, en cumulant bonds en avant et en arrière, comme en témoignent les histoires de GrandeEnfant et de l’anonyme prisonnière, à l’image de deux faces d’une même pièce. « Les montagnes n’ont pas de pieds, le passé non plus », affirme Caroline Deyns comme pour souligner le caractère cyclique, sans début ni fin, de l’acquisition et de la perte de droits pour les femmes.
« N’oublie pas, jeune fille, que nous veillons. Et rappelle bien aux autres salopes qui te ressemblent, que toute loi est réversible. »
MURmur pourrait sembler être une lecture éreintante et démoralisante, tant les thématiques qu’il aborde sont sombres et violentes. Pourtant, si l’on gratte la surface de cette noirceur apparente, il en émane surtout un message d’espoir. Caroline Deyns met en avant des protagonistes réduites au silence, mais prêtes à tout pour faire entendre leur voix. En offrant à ces femmes un espace dans lequel s’exprimer, le livre participe à cette lutte et transforme l’écriture en véritable arme.
« Je transporte sur moi des explosifs qu’on appelle des MOTS. »
La société a longtemps privé les femmes de leur voix, de leur Histoire, de leur version des faits. Alors, dans son livre, l’autrice fait la part belle aux femmes, à toutes les femmes, d’hier, d’aujourd’hui, et de demain. Le mur enfermant leurs voix s’effrite, sur les pages comme dans l’histoire. Son livre vise à faire resurgir l’Histoire des femmes, à la fois dans le monde (fictif ?) de la narratrice de la première partie, mais aussi, et surtout, dans le monde bien réel du lecteur. D’abord simples murmures, ces murmures deviennent des cris de révolte, révélés au grand jour par le livre lui-même, dans une mise en abyme révolutionnaire. Au minuscule carré de texte ouvrant le livre, perdu au milieu d’une page, dans laquelle une femme exprime son emprisonnement total, répond une page entière le clôturant, remplie de mots, à l’exception d’un minuscule carré vide, dans laquelle cette même femme exprime sa libération obtenue grâce à l’écriture, au sein même de sa prison. La boucle est bouclée. Le cycle peut recommencer. Grâce à Caroline Deyns, et à tous les écrivains qui ont œuvré pour faire entendre la voix des femmes, elles sont maintenant armées pour y survivre et inverser le processus, équipées de la plus puissante des armes – les mots.
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