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Critique de Saving Mr Banks : Corriger la réalité par la fiction

  • Photo du rédacteur: Mathilde
    Mathilde
  • 15 juil.
  • 5 min de lecture
Affiche Saving Mr Banks Dans l'Ombre de Mary ombre Mickey Mouse ombre Mary Poppins petite affiche encadrée à la gauche. dela grande affiche centrale
Image libre de droits Licence : CC BY-NC-ND 2.0 Auteur : Loren Javier (utilisateur de flickr.com) Lien vers l'image : https://www.flickr.com/photos/lorenjavier/11649114514

Saving Mr. Banks (ou Dans l’ombre de Mary – La Promesse de Walt Disney en français) est un drame biographique réalisé par John Lee Hancock et sorti en 2013. Le film retrace l’histoire de la production du film Mary Poppins des studios Disney, sorti en 1964, et plus particulièrement l’obtention des droits de la série de livres jeunesse, écrite par Pamela Lyndon Travers, dont il est adapté. On suit l’autrice britannique lors de réunions avec l’équipe du film, réunions au cours desquelles elle commente (et critique) les choix effectués quant à l’adaptation de son œuvre. En parallèle, les débats entre Travers et l’équipe du film font remonter de nombreux souvenirs à la surface de la mémoire de l’autrice, qui se manifestent à l’écran sous la forme de flashbacks, et éclairent le spectateur sur ses sources d’inspiration pour ses livres.


Un film aux visuels soignés


On peut d’abord souligner la qualité des décors du film, qui contribuent à dépayser le spectateur et à le renvoyer dans les sixties en Californie. Avec les costumes, ils font dégager au film un style délicieusement kitsch. Saving Mr. Banks nous permet d’arpenter les couloirs des studios Disney à l’époque où Walt Disney y travaillait encore, ainsi que les allées du parc Disneyland dans ses premières années, le tout dans des scènes aux couleurs éclatantes, contrastant grandement avec les images d’archives, principalement en noir et blanc, qui documentent cette époque.

La lumière des scènes se déroulant dans les années 1960 contraste également beaucoup avec les nombreux flashbacks. Ceux-ci dépeignent la vie de Pamela Travers pendant son enfance en Australie. La lumière naturelle utilisée pour filmer ces flashbacks est très différente de la lumière plus artificielle qui éclaire le reste du film, comme pour mettre en avant la fracture entre les deux époques. Néanmoins, le montage très réussi alterne à la perfection les scènes se déroulant dans les années 1960s et les flashbacks, parfois même en entremêlant deux scènes avec deux temporalités différentes, renforçant le lien entre passé et présent.


Des personnages profonds


Le film est porté par une distribution cinq étoiles. Emma Thompson incarne à la perfection le rôle de l’autrice britannique exaspérée qui tient à protéger son œuvre à tout prix. Sa performance lui a d’ailleurs valu une nomination aux Golden Globes 2014 dans la catégorie « Meilleure actrice dans un film dramatique ». Tom Hanks interprète de son côté un jovial Walt Disney. Et comment évoquer les magnifiques performances d’acteurs dans ce film sans mentionner Colin Farrell, qui livre une prestation très émouvante en prêtant ses traits au père de Pamela, personnage au centre de la plupart des flashbacks du film.

Il est très intéressant de suivre l’évolution du personnage de Pamela tout au long du film, dans les deux temporalités parallèles. Dans les flashbacks, on découvre d’abord une enfant très inventive, qui entretient une relation très tendre avec son père, qui attise son imagination. Mais au fil du temps, elle est de plus en plus confrontée à la dureté de la vie. Sa famille est confrontée à des problèmes financiers, et l’alcoolisme de plus en plus envahissant de son père n’arrange pas les choses, et finit par causer sa mort. Ces événements poussent la jeune Pamela à se renfermer sur elle-même. Toutefois, la Pamela plus âgée suit le cheminement inverse. Si elle se montre d’abord fermée à toute idée qu’elle trouve trop fantaisiste ou pas à son goût quant à l’adaptation de son œuvre à l’écran, à mesure qu’elle se remémore ces souvenirs, elle parvient à faire le deuil du passé et s'ouvre de plus en plus à de nouvelles idées.

Les flashbacks montrent au spectateur les sources d’inspiration de l’autrice pour les aventures de Mary Poppins. On se rend compte que les personnages du film sont intimement liés aux membres de sa famille et que certaines situations auxquelles font face les personnages sont un reflet transformé d’éléments de son enfance. On comprend alors pourquoi elle se montre si réticente au moindre changement concernant l’adaptation en film de ses livres, et surtout pourquoi elle tient à en garder le contrôle. Ce n’est que lorsque Walt Disney se confie à Pamela sur sa propre enfance, et lui parle notamment de son propre père, qu’elle accepte de lui faire confiance, et de lui donner les droits de sa série de livres en renonçant à son droit de regard. Larmes garanties pendant cette scène !


Un éclairage novateur de l'œuvre


Saving Mr. Banks permet donc de comprendre Mary Poppins, sous ses deux formats : la nanny magique n’a pas été envoyée chez les Banks pour sauver les enfants, mais bien pour sauver le père de famille (comme l’indique le titre original), en restaurant sa relation avec ses enfants, et en lui redonnant la joie de vivre. Avec cette perspective en tête, Saving Mr. Banks permet de revoir le film Mary Poppins d’un œil nouveau, avec une perspective nouvelle.

Plus généralement, au-delà d’éclairer une œuvre singulière, Saving Mr. Banks montre le rôle thérapeutique que peut jouer la fiction dans la guérison des traumatismes. Pamela aurait aimé qu’une femme magique apparaisse chez elle et soit capable de sauver son père, mais un tel événement ne s’est jamais produit. Elle s’est donc tournée vers la fiction, unique moyen de réécrire la réalité. Une telle utilisation de la fiction se ressent d’ailleurs à deux niveaux dans le film. D’abord, Pamela sauve son père, en sauvant la relation qu’a Mr. Banks avec ses enfants, à travers le film produit par les studios Disney de l’époque. Et en plus de cela, les studios Disney actuels, qui ont produit Saving Mr. Banks, se servent de ce film pour véhiculer une image extrêmement positive de Walt Disney, sans montrer les autres facettes de sa personnalité. L’homme d’affaires n’est notamment montré en train de fumer qu’une seule fois, alors que ce dernier fumait beaucoup et est mort d’un cancer des poumons. Renvoyer cette image magnifiée peut être vu comme une façon pour les studios de sauver leur fondateur par la fiction. C’est pourquoi on peut considérer que les nombreuses inexactitudes historiques qui ont été relevées et reprochées à Saving Mr. Banks peuvent également être vues comme servant le propos du film.

 

Saving Mr. Banks est un film biographique extrêmement touchant. En plus de nous plonger au cœur du processus de création d’un film, il démontre toute la puissance des histoires, qui peuvent servir à la fois d’échappatoires à la réalité, mais aussi de véritables remèdes aux traumatismes. Ce film donne envie de revoir Mary Poppins de toute urgence, et nous fait l’apprécier plus que jamais.

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